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Episode 08 : la Chine (1ère partie)

Novembre 1995. Voici une de mes premières images de Chine, après le passage de la frontière avec le Kazakhstan : des paysans rentrent des champs avec leurs charrettes tirées par des ânes. Il faut souligner que cette simple frontière représente plus qu'une simple séparation géographique. Après plus de 3 mois passés dans les ruines du plus grand pays du monde, l'Union Soviétique (Caucase, Asie Centrale), je découvre le pays le plus peuplé : la Chine. C'est l'arrivée dans un autre monde : autres langue, histoire, culture, cuisine, population, régime politique, mode de pensée, fréquentation touristique, ... Tout y est différent.

Dans le prologue, je racontais mon choix d'apprendre le russe et non le mandarin. Ce choix fut le bon je pense : en parlant russe, je recevais un accueil encore plus chaleureux. Parfois on me prenait même pour un "camarade" venu d'une région éloignée, à cause de mon accent étrange. En Chine, la question se pose différemment : d'une part il n'y avait aucun risque que l'on croie que j’étais chinois, d'autre part le pays était ouvert aux étrangers depuis plus longtemps et l'anglais y était un peu plus répandu. Enfin la communication y est très différente : en Russie et dans les ex-républiques soviétiques, les gens étaient ouverts et aimaient beaucoup discuter avec des étrangers. En 1995, les Chinois ne s'intéressaient pas à vous et ne voulaient pas vous parler, de plus ils risquaient d'avoir des problèmes s'ils le faisaient... Les échanges se limitaient donc au strict minimum commercial.
J'ai appris les quelques mots essentiels en mandarin : les salutations de base, ce qu'il faut pour manger et dormir, et les chiffres pour faire ses courses ... Pour acheter un billet de train je recopiais sur un papier les idéogrammes du nom des villes de départ et d’arrivée, le numéro du train (je m’étais acheté un horaire annuel détaillé sur tous les trains chinois), le jour de mon voyage ... Puis je donnais ce papier et quelques yuans (la monnaie chinoise) au guichet. Je suis toujours arrivé à bon port ;-)

Voici un champs de coton. Intensivement cultivé en Asie Centrale (surtout en Ouzbékistan) et dans l'ouest de la Chine, le coton cultivé dans la région du Xinjiang représente 85 % de la production totale du pays. La Chine est aujourd'hui le premier producteur mondial de coton (25% de la production). En 1995 le secteur agricole est encore le premier "employeur" du pays, 80% de la population habite en zone rurale (ils ne sont plus que 40% actuellement).

Voici les rues de l'ouest de la Chine en 1995. Reprenons notre petit jeu des comparaisons avec l'ex-URSS. En Chine on trouve des hôtels autorisés à recevoir les touristes, car ils ne peuvent dormir n'importe où et cela permet de les surveiller, connaître leurs déplacements, fréquentations, ... Mais surtout, la grosse différence c'est qu'il y a bel et bien des touristes étrangers. Entre Istanbul et Ürümqi (la première ville chinoise que je visite), en 4 mois, je n'ai croisé qu'une poignée d'Européens. Et là, le jour de mon arrivée, dans un seul hôtel lointain de l'ouest du pays, il y en a au moins une dizaine de différents pays... heureuse surprise car ils sont sympathiques, mais quel choc ;-)
Autre choc : les magasins ! On trouve de tout, partout et en abondance. Et pourtant, comme je le verrai par la suite, cette région est plutôt pauvre par rapport aux autres. C'est un peu comme si le Caucase et l'Asie centrale étaient à l'abandon après l'effondrement de l'URSS, alors que la Chine se reconstruit et se modernise. 

Ürümqi, dont le nom signifie « belle prairie » en mongol, est la capitale de la région autonome ouïghoure du Xinjiang (voir la carte en fin d'article). Vous avez peut-être déjà entendu parler des Ouïghours, ce peuple turcophone et en majorité musulman sunnite. Ils habitent la région du Xinjiang (ancien Turkestan oriental). Depuis les années 1980, les Ouïghours ont tenté de s'organiser pour faire reconnaitre leur existence, leur culture, leur droits... mais en Chine ce n'est pas possible. Depuis le 11 septembre 2001, ils sont encore plus persécutés par le gouvernement chinois qui a profité de la lutte "anti-terroriste" américaine pour classer les Ouïghours parmi les dangereuses organisations terroristes internationales, et pouvoir exercer une répression massive dans l'indifférence quasi-mondiale. En 2018, le nombre des détenus musulmans dans les camps d'internement du Xinjiang est estimé à un million par Amnesty International et par l'Organisation des Nations unies. Autre technique pour les assimiler : les rendre minoritaires. Aujourd'hui ils ne représentent plus que 12% de la population d'Ürümqi, contre 75% de Hans (la principale ethnie présente en Chine). Ci-dessus, une mosquée, un bus et un vendeur de journaux.

Voici le marché couvert Erdaoqiao, on y trouve de multiples stands de brochettes, vous n'avez qu'à vous asseoir sur un banc et dire combien vous en voulez, ce sera prêt dans quelques minutes... enfin, c’était comme ça en 1995. Aujourd'hui ce marché est un centre commercial de 6 étages.

Il n'y a pas que des brochettes dans ce marché, il y a aussi le plov : un plat à base de riz sauté (comme le pilaf), de légumes (pois chiche, carotte, oignon, ...), de viande de mouton ou de bœuf, et d'épices, mettez le tout à mijoter à feux doux dans une grande marmite, servez avec du pain plat (en haut à droite du chaudron). C'est une spécialité d'Asie centrale et du Xinjiang, et c'est excellent.

Le marché aux bestiaux dans un petit village. Oui, j'aime bien cette image bucolique avec ce jeune pâtre et son petit bout de bois si menaçant ;-)

A 200 km à l'est d'Ürümqi se trouve la dépression de Tourfan, dont le point le moins élevé est à -154 m - c'est à dire qu'il se trouve à 154 mètre sous le niveau de la mer, c'est donc très bas... et dire que quelques jours plus tard je passais le col de Tanggula qui culmine à 5 231 mètres d'altitude, beau dénivelé n'est-ce-pas ? 
Tourfan était l'une des principales oasis qui jalonnaient la branche Nord de la route de la soie, qui allait de Merv à Dunhuang, en passant par Boukhara, Samarcande, Kashgar, ... C'est dans cette dépression que l'on trouve les ruines de Jiaohe, une ancienne citadelle de l'époque des Tang (du VIIe au Xe siècle). Elle fut peu à peu abandonnée après la dynastie Yuan, vers le XIVe siècle. Construite en pisé, elle est aujourd'hui très endommagée. 

C'est sur ces ruines que je quitte la Route de la soie. A Ürümqi, j'ai rencontré Andrew et Helen, un couple d'Anglais très sympas, qui m'ont fait part de leur projet de passer Noël au Népal, après un passage au Tibet, et m'invitent à les suivre. Je pensais qu'il était impossible d'aller au Tibet en hiver. Ce voyage au Tibet, je ne l'avais donc pas envisagé au départ, écarté pour des raisons matérielles et climatiques, ce n’était pourtant pas l'envie qui me manquait de découvrir ce pays, dont le seul nom me faisait rêver... Je réfléchis quelques jours. A Turfan, je décide de tenter d'aller au Tibet. Je vais donc à Golmud, charmante ville minière où l'on extrait du sel de potasse. Il y a aussi, pas loin, de joyeux camps de travail pour prisonniers d'opinion, et la base de Lob Nor, le site des essais nucléaires chinois. Golmud est surtout pour moi le seul point de départ pour aller en bus à Lhassa.

Et soudain, je réalise que je ne vous ai pas encore parlé de mon équipement photo. Rassurez-vous, ce ne sera pas trop technique. Pour ce voyage je disposais de 2 appareils photos (ci-dessus). A cette époque les appareils numériques n’étaient pas encore au point. Ce sont donc 2 appareils argentiques que vous voyez ici. Pourquoi 2 ? Tout simplement parce que j'en utilisais un avec des pellicules noir et blanc, et l'autre avec de la diapositive couleur. Ce sont des appareils "moyen de gamme". Les objectifs sont moyens également, mais interchangeables et compatibles... et tant mieux car bientôt un appareil va tomber et rester bloqué sur sa focale... plus possible de zoomer avec lui.
Dernier point important à signaler : on ne pouvait passer la douane chinoise qu'avec, au maximum, 72 pellicules. Au-dessus toutes sortes de taxes devaient s'appliquer j'imagine. Je suis donc parti avec 36 pellicules N&B, 36 dias. Ceci représente un petit poids et surtout prend également une bonne place dans mon sac à dos. Chaque pellicule permet de prendre 36 images. Soit en tout 2592 images possibles. Mon voyage a duré 242 jours (mais je n'avais pas ce renseignement en tête lors du voyage, car sa durée n’était pas planifiée). Bref, ça donne au final une moyenne de 10 photos par jour : 5 noir et blanc, 5 couleur. Autant vous dire que c'est rien du tout pour moi... Je vous laisse donc imaginer à quel point je réfléchissais avant d'appuyer sur le déclencheur [mode vieux grincheux on / c’était mieux avant, maintenant avec le numérique on mitraille sans regarder / mode off].

N'oubliez pas que tout ce qui est écrit dans cette page est mon témoignage sur mon voyage fait en novembre 1995, et que tout a beaucoup changé depuis, la Chine est complètement différente aujourd'hui, si j'en crois ce que j'en vois...
Si vous avez des commentaires, questions, infos, ... n’hésitez pas !
La bise à tous mes éventuels lecteurs chinois, ouïghours, hans, et aux autres aussi. Zài jiàn !

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