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Episode 10 : le Tibet (2eme partie)

Pour cette seconde partie du récit de mon voyage au Tibet, je vous présente le Potala (ci-dessus). Construit pour le 5e dalaï-lama, de 1645 à 1694, le Potala fut le lieu de résidence principal des dalaï-lamas. Les Tibétains vénèrent les dalaï-lamas comme des dieux chargés de la représentation et de la protection du Tibet et du peuple tibétain. Ce "château de Versailles du Tibet", de sacrées dimensions, possède également une dimension sacrée, car bien que n’étant pas un temple, c'est ici que résidaient les dalaï-lamas jusqu'à la fuite du 14e dalaï-lama en Inde en 1959. Il comporte encore de nombreux objets, souvenirs et documents, ... et de nombreux pèlerins font des offrandes devant ses autels. Cette vénération se reporte donc tout naturellement sur le Potala en l'absence de son propriétaire.


Que dire devant le comportement de certains visiteurs du Potala, touristes étrangers ou chinois, soldats, qui ne respectent absolument pas les lieux ? Dans tous les lieux importants du bouddhisme, il faut montrer du respect, se comporter dignement, se découvrir la tête, ne pas prendre en photos certaines statues (c'est écrit juste à côté généralement) et enfin, on tourne toujours dans le sens des aiguilles d'une montre (c'est le parikrama : lors de la circumambulation, on doit toujours avoir la statue, le sanctuaire, le monastère, la montagne, ... à main droite). Vous le devinez, j'ai vu des visiteurs à casquette ou képi sur la tête, mâcher un chewing-gum, fumer et photographier, rire aux éclats, le tout dans le mauvais sens. Ignorance ou provocation ?
Sur la photo ci-dessus, les pèlerins tournent tous dans le même sens autour du temple du Jokhang à Lhassa. Le parcours des 4 rues qui encerclent en carré ce temple porte un nom, c'est le Barkhor (non, pas le bardcore, rien à voir, quoique... selon Pékin, le bouddhisme c'est un obscurantisme médiéval).


Sur le Barkhor, encore plus que dans le reste de la ville, la police veille et surveille.

Voici ce qu'il faut savoir sur l'organisation du bouddhisme tibétain  et ses 3 lamas les plus connus (merci Wikipedia) :

  • le dalaï-lama : titre signifiant « océan de sagesse ». Le dalaï-lama était le principal dirigeant politique du régime théocratique tibétain jusqu'à ce que la Chine envahisse le Tibet en 1950. Les dalaï-lamas sont considérés comme les manifestations du bodhisattva de la compassion. Ils constituent une lignée de tulkus (maîtres réincarnés). Au décès d'un dalaï-lama, ses moines commencent une recherche de sa réincarnation. Le dalaï-lama, détenteur de l'autorité temporelle, est le chef spirituel de l'ensemble des écoles bouddhistes tibétaines.
  • le panchen-lama : Panchen se traduit par « grand érudit ». Lama signifie « maître spirituel ». Le panchen lama est considéré comme une émanation du Bouddha Amitabha (« de lumière infinie »). C'est le deuxième chef spirituel du bouddhisme tibétain, après le dalaï-lama.
  • le Karmapa : en sanskrit « la manifestation de l'activité de tous les Bouddhas », est le titre du chef des Karma Kagyu, l'une des quatre écoles majeures du bouddhisme tibétain.
Le dalaï-lama, comme déjà indiqué, vit en exil en Inde. La désignation du Karmapa a fait l'objet d'une controverse, mais plus tard, pas en 1995. Ainsi que vous l'avez compris, je vais donc vous parler du panchen-lama. Petit retour en arrière (source Wikipedia encore) :
Le 28 janvier 1989, le 10e panchen-lama meurt subitement à l’âge de 50 ans. Les médecins chinois diagnostiquent une crise cardiaque. Le gouvernement tibétain en exil affirme qu'il a été empoisonné par le gouvernement chinois quelques jours après son discours public critiquant la politique chinoise et affirmant sa loyauté envers le dalaï-lama.
Après sa mort, le Parti communiste chinois chargea Chadrel Rinpoché, responsable du monastère de Tashilhunpo (situé à Shigatsé, ce monastère est le siège traditionnel des panchen-lamas) de trouver la réincarnation du panchen-lama. Le dalaï-lama et les autorités tibétaines commencèrent à organiser les recherches de leur côté suivant les traditions tibétaines. Au Tibet, Chadrel Rinpoché retint trois enfants aux qualités remarquables, dont le petit Gendhun Choekyi Nyima, fils de nomades tibétains. Lors de l'examen, Gendhun reconnut sans hésiter les biens du défunt lama. Il avait d'ailleurs déclaré à ses parents : « Je suis le panchen-lama, mon monastère est le Tashilhunpo. ». Le 14 mai 1995, ce jeune garçon de six ans fut désigné par Chadrel Rinpoché et par le dalaï-lama comme étant le 11e panchen-lama.

Les pèlerins brûlent de l’encens devant le temple du Jokhang 

Trois jours après sa désignation, Gendhun Choekyi Nyima et ses parents disparurent et furent placés dans un lieu tenu secret jusqu'à ce jour. Le même jour Chadrel Rinpoché fut arrêté et emprisonné pour avoir informé le dalaï-lama, il a été libéré en 2002 et placé en résidence surveillée dans un camp militaire près de Lhassa, puis il est mort en 2011, victime d'un empoisonnement selon le gouvernement tibétain en exil. La disparition de l'enfant à l'âge de six ans, souvent qualifiée d'enlèvement par les pro-tibétains, fit de lui « le plus jeune prisonnier politique du monde ». La Chine a démenti avoir détenu Gendhun et sa famille durant plus d'une année. Le 28 mai 1996, son cas fut examiné par le Comité des droits de l'enfant de l'ONU, et les autorités chinoises admirent pour la première fois avoir « pris l'enfant pour sa sécurité ». Un ambassadeur chinois déclara au Comité : « puisque les séparatistes cherchaient à enlever l’enfant, ses parents se sont inquiétés pour sa sécurité et ont demandé la protection du gouvernement chinois, qui leur a été fournie. L’enfant habite avec ses parents dans de bonnes conditions ».

Des fagots entiers de branches odorantes sont jetés dans les brasiers

Je ne me souviens plus ce qui nous a décidé, mais toujours est-il que Dona et moi quittons Lhassa dans le but de visiter Gyangzê et Shigatsé. Les routes sont surveillées, plus que d'habitude. Il y a des contrôles routiers avant et après chaque ville, et toujours ces immenses convois de camions de l'armée chinoise. Comme il y a peu de routes, impossible d'y échapper, à moins de faire le chemin à pied à travers les montagnes... De nombreux chauffeurs refusent tout simplement de nous prendre à bord, de peur sans doute d'avoir des problèmes avec la police. Je me souviens d'un voyage où nous nous sommes retrouvés au fond d'un bus rempli uniquement de Tibétains, cachés sous les bagages et les peaux de yack (très odorantes), nous avons ainsi réussi à passer au travers des nombreux barrages. A Gyangzê, rien de spécial à signaler. Par contre, dès notre arrivée à Shigatsé, nous comprenons qu'il se passe quelque chose d’inhabituel. Nous apprenons que le gouvernement chinois va faire introniser le panchen-lama au monastère de Tashilhunpo, ou plutôt SON panchen-lama. Car, non seulement ils ont kidnappé le panchen-lama reconnu par le dalaï-lama, mais en plus ils en ont désigné un nouveau : Gyancain Norbu, alors âgé de 5 ans et demi. Son père et sa mère sont membres du parti communiste chinois depuis 1977...

En ce début décembre 1995, les rues de Shigatsé sont étrangement calmes et désertes, les portes sont closes. Les Tibétains, d'habitude si souriants, ont perdu leur bonne humeur. Les militaires chinois sont par contre partout visibles. Une sorte de couvre-feu règne en ville. Devinant ce qui se prépare, je décide de partir plutôt que d'assister à ce triste spectacle. Peut-être aurais-je dû rester ? Je n'aurais sans doute pas traîné longtemps, sachant que les Chinois n'aiment guère les photographes lors d’événements sensibles. Aurais-je aussi eu cet étrange pouvoir qu'ont les Tibétains de supporter les pires choses sans s’énerver ? J'en doute. Quoi qu'il en soit, je suis parti aux premières lueurs du jour, avant que la situation ne soit complètement bloquée.
Par contre, Dona est restée. Dans une lettre, elle m'a ensuite raconté cette journée d'intronisation du panchen-lama (je cite de mémoire, je n'ai pas la lettre sous les yeux). Elle a réussi à passer inaperçue, déguisée en Tibétaine, avec l'aide d'une famille particulièrement courageuse. Les militaires sont venus dans chaque maison de la ville, et ont obligé tous les habitants à venir "accueillir" le nouveau panchen-lama, dans la joie et la bonne humeur (un canon de fusil dans le dos). La presse officielle a pu faire de belles photos, et tout le monde est content, il n'y a pas eu le moindre incident.

Les pèlerins font la queue pour entrer dans le temple du Jokhang

En rentrant à Lhassa, j'interroge les gens sur ce panchen-lama, ce qu'ils en pensent. Pas un seul n'a été dupe. Ils me répondent : "this boy is not the panchen-lama, it's the pupet lama". La marionnette de Pékin. Franchement dégoûté par l'ambiance devenue morose, je quitte peu après le Tibet, et poursuis mon voyage vers Chengdu (province du Sichuan, à découvrir dans le prochain épisode).
En 2010 les autorités chinoises firent la déclaration suivante à propos de Gendhun Choekyi Nyima : « Ce garçon est une victime. Lui et sa famille ne veulent pas être dérangés et souhaitent mener une vie ordinaire ». Toujours est-il que jamais personne, ni religieux tibétains, ni représentants de gouvernements étrangers, ni du Haut-Commissariat aux droits de l'homme de l'ONU, n'a jamais revu l'enfant devenu grand. 

J'aime beaucoup cette photo prise sur le Barkhor, et ce geste spontané de ce jeune garçon, quasiment du même âge que Gendhun. Je précise, au cas où ce ne serait pas évident pour vous, que le pistolet qu'il tient dans la main est un jouet.

PS : Je tiens à demander aux Chinois de m'excuser. Je sais bien qu'ils ne sont pas des monstres. Quand dans ce texte je parle des "Chinois", c'est pour ne pas avoir à écrire à chaque fois "le parti communiste chinois", ou "l’armée de libération du peuple", ou encore "l'Assemblée nationale populaire, le Président et le Conseil des affaires de l'État de la République populaire de Chine". C'est un raccourci de langage, pas plus. Je ne vise absolument pas la population chinoise, qui, elle aussi, souffre des décisions de ses dirigeants.
Si vous avez des commentaires, questions, infos, l'adresse du compte facebook de Gendhun... n’hésitez pas !
La bise à tous mes éventuels lecteurs chinois, tibétains, et aux autres aussi. Kalichou !

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