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Episode 04 : l'Azerbaïdjan

Avant de vous parler de l’Azerbaïdjan, je vais évoquer rapidement le train Tbilissi / Bakou. C'est un vieux train soviétique, direct, avec un arrêt nocturne à la frontière, et passage en douane pour moi. Mais ce qui m'a le plus marqué, ce sont les multiples trous dans les wagons : des impacts de balles... C'est le Far-East. Cette nuit-là, notre train n'a pas été attaqué : ni rebelles tchétchènes, ni séparatistes géorgiens, ni méchants mafieux, rien, ... à part, pour moi, une tentative de racket des douaniers géorgiens.

L’Azerbaïdjan est très différent des ses voisins caucasiens, de par son histoire, sa culture, sa religion, sa langue, son alphabet... L’Azerbaïdjan est musulman (85% de chiites, le reste sunnites, et des miettes de russes orthodoxes), et ce depuis plus de 1000 ans. Le pays fit partie de l'Empire ottoman et en a gardé une langue, l'azéri, dont la plus proche est le turc de Turquie. Les deux langues sont mutuellement intelligibles. Cette langue utilisait l'alphabet arabe jusqu'en 1929, puis le latin entre 1929 et 1939, puis le cyrillique entre 1939 et 1991 et est revenue au latin depuis son indépendance, comme le turc...
Fort heureusement, et comme dans toutes les autres républiques ex-soviétiques, tout le monde acceptait de parler russe avec moi. Je précise "avec moi" car, même si tout le monde parlait russe, certains refusaient alors de parler cette langue "ennemie".

Voici une vue du front de mer de Bakou (la capitale de l’Azerbaïdjan), les beaux quartiers d'une ville soviétique, avec, à gauche, le "château" du Parlement. L'économie du pays est fortement dépendante de l'exploitation du pétrole en mer Caspienne, qui représente 70 % de ses exportations et 50 % du budget de l'État.
Étrangement pourtant, je constate de nombreux signes de pauvreté, des magasins vides, des maisons en ruine ou presque. L'Azerbaïdjan proclame son indépendance après l'effondrement du bloc communiste, en 1991. Dès la sortie de l'URSS, une nouvelle guerre oppose l'Azerbaïdjan et les Arméniens du Haut-Karabagh, à l'issue de laquelle le Haut-Karabagh maintient son indépendance de facto. Il n'y a toujours pas eu de signature de paix et des incidents continuent de se produire encore aujourd'hui. Les effets de cette guerre "régionale" sont bien visibles à Bakou en 1995. La guerre du Haut-Karabagh, près de 30 000 morts des deux côtés, pousse un million d'Azéris à se réfugier dans Bakou, la plupart dans des habitats de fortune.

L'Azerbaïdjan est l'un des lieux de naissance de l'industrie pétrolière. En 1846, fut foré un puits de 21 m de profondeur à l'aide d'un mécanisme de forage primitif à percussion, à Bibiheybat, pour explorer le pétrole. Bakou devient la capitale mondiale du pétrole. En 1901, le pays produit 11 millions de tonnes ou 212 000 barils de pétrole par jour. La vie culturelle explose avec le "boom" pétrolier, on construit un opéra et de nombreux théâtres. Bakou devient célèbre en tant que "Paris du Caucase".  Non, je ne sais pas s'il y avait des danseuses de Caucase Cancan dans les cabarets bakinois. 
 
 

Le pétrole est une roche liquide d'origine naturelle, une huile minérale composée d'une multitude de composés organiques, essentiellement des hydrocarbures, piégée dans des formations géologiques particulières. En Azerbaïdjan, il est présent en grande quantité et à très faible profondeur, parfois même en surface. En 1995, Bibiheybat, le premier site d'extraction industrielle de pétrole au monde, est toujours exploité. Les photos ci-dessus vous montrent ces vastes étendues où des centaines de pompes tournent inlassablement pour extraire "l'huile de roche". Pendant plus d'une heure d'errances dans ce champ de puits, je n'ai croisé aucun être vivant : ni travailleur local, ni animal, ni végétal - rien que du minéral.

 
Le pétrole est tellement important qu'il a inspiré une religion... L’Azerbaïdjan est resté un pays à prédominance zoroastrienne jusqu’à l’invasion arabe du VIIe siècle. Le nom Azerbaïdjan signifie la "Terre du feu éternel" en moyen-persan, un nom qui aurait un lien direct avec le zoroastrisme (une ancienne religion). Les zoroastriens respectaient le feu comme symbole divin. Zarathoustra prêchait un dualisme apparent, qui reposait sur le combat entre le Bien et le Mal, la Lumière et les Ténèbres. Vous ne serez pas surpris d'apprendre que lors du processus de formation du pétrole, il peut se libérer des gaz qui s'enflamment généralement en atteignant la surface, donnant lieu à une flamme permanente. Un de ces feux permanents très anciens est justement à Bakou... Rien de plus simple alors, devant ce phénomène pourtant naturel, d'y voir un signe divin, "surnaturel", et d'adorer ce feu sacré.

Dans mon Lonely Planet (le guide de voyage, voir le prologue), il y a quelques lignes sur Oil Rocks (Neftyanie Kamni en russe). C'est un site de forage en mer Caspienne, à une cinquantaine de km de Bakou. C’était la première plateforme off-shore au monde. Encore une curiosité à visiter pour moi ;-) Je suis donc allé au siège de la compagnie nationale d'exploitation du pétrole. Arrivé dans le bureau d'un responsable (?) de la plateforme. Nous discutons une dizaine de minutes et, au final, il me remet un tout petit bout de papier manuscrit avec un coup de tampon et quelques indications : il faut que je prenne un taxi le lendemain pour aller sur une sorte de terrain vague en dehors de la ville, et que je montre ce papier, je pourrai alors monter dans l'hélicoptère qui fait la navette - retour prévu dans l'après-midi. Je vais pouvoir me promener totalement librement sur la plateforme pendant des heures... je n'en reviens pas et je remercie chaleureusement cet homme. Le lendemain, je monte effectivement dans un bon gros vieil hélico soviétique d'une vingtaine de places.

Bienvenue à Venise-sur-pétrole, une ville et 200 km de routes sur pilotis au milieu de la mer Caspienne. Dans le centre : des immeubles d'habitations, des salles collectives, des passerelles dans tous les sens, comme une grande toile d’araignée. Les installations sont vétustes, les maisons à juste quelques mètres au-dessus d'une vraie mer d'huile. En 1995, 4000 personnes (ouvriers, ingénieurs, mécaniciens, ...) vivent sur cette plateforme. Pas de guide, ni boutique de souvenirs, on est sur un site industriel pur et dur : de l'aventure et des hydrocarbures, ça assure !

Un ensemble de travailleurs héroïques, la veste jetée sur l’épaule, pour aller travailler laborieusement... une bien belle sculpture de propagande soviétique non ?

Les rares couleurs vives visibles : les irisations arc-en-ciel au pied des maisons : indicateur caractéristique de la présence d'hydrocarbures à la surface de l'eau.

Des habitants de la plateforme : une Russe et trois Azéris. Au mur : attention, ne jetez pas vos cigarettes n'importe où ! En fait, pour d'évidentes raisons de sécurité, il est même interdit de fumer sur place.

Les installations sont parfois en ruine. De même certaines routes sont fermées car trop dangereuses.

C'est l'heure du retour sur le continent. Pour les travailleurs, le rythme de rotation est le suivant : 3 semaines en mer / 1 semaine en famille.

Voici le "centre ville" de la plateforme, vu de hélicoptère, à travers un hublot sale et épais.

Pour se changer les idées, voici Gobustan, au sud de Bakou. C'est un site classé au Patrimoine mondial de l'UNESCO depuis 2007. Il recèle une collection remarquable de plus de 6 000 gravures, des dessins gravés sur des roches qui illustrent des scènes de chasse, de pêche, de travail et de danse, et datent de la période mésolithique. Les plus anciens ont été gravés en 1200 avant JC. Et voici les gardiens un peu exhibitionnistes du site...

Pause histoire des communications : pour donner des nouvelles aux proches, aux amis, en 1995, les emails n’étaient pas encore utilisés, et je ne parle même pas de skype, facebook ou whatsapp... Il fallait écrire, à la main, des lettres envoyées par la poste. Le délai d'acheminement était d'environ 10 jours. Je donnais à l'avance les coordonnées des bureaux de poste des villes que je comptais visiter 2 mois plus tard. Autant dire que les nouvelles n'étaient pas toujours fraîches, mais elles me faisaient toujours plaisir. A Bakou cependant j'ai utilisé un autre moyen de communication plus rapide : le fax, pour prévenir mes amis de la suite de mon périple, avec le passage programmé de l'autre côté de la mer Caspienne. Pour envoyer ce fameux fax, je dus me rendre dans le seul bureau de la ville où ce service était disponible. J'ai déposé ma feuille le matin, avec le numéro de fax de mon correspondant à Paris. J'ai du repasser dans l'après midi pour avoir la confirmation qu'il avait été envoyé, puis j'y suis retourné le lendemain pour avoir les réponses. Je pense que cette correspondance a été lue par le service de contre-espionnage local, ce qui explique les délais avant l'envoi et l'obligation de passer par ce seul point pour communiquer avec l'étranger...

Тысяча и одна ночь (les Mille et Une Nuits), version ballet de Fikret Amirov (1979). Ce ballet, qui date de l’époque soviétique, mais a été écrit par un Azéri, est devenu un classique. C'est sans doute pourquoi il continue d’être représenté. Il est vrai que si l’Azerbaïdjan est religieusement musulman, il est politiquement laïc. Ce n'est pas une république islamique, sinon ce genre de spectacle serait tout simplement interdit...

L’Azerbaïdjan est aussi le pays de Garri Kasparov, champion du monde d'échecs de 1985 à 2000. Pour m'amuser, j'ai accepté de pousser le pion contre un joueur local dans un parc. Je ne me suis jamais fait autant humilier que ce jour-là. Son niveau était clairement meilleur que le mien. Pour me rassurer je me dis que c’était peut-être l'entraineur de Kasparov...

Bakou, même les yeux fermes, on sent qu'on y est, à cause de l'odeur caractéristique qui flotte dans l'air... Après 16 jours dans cette atmosphère d'enfer, je prends la mer. Je traverse la Caspienne sur un vieux ferry bruyant et vogue vers les steppes de l'Asie Centrale.

N'oubliez pas que tout ce qui est écrit dans cette page est mon témoignage sur mon voyage fait en septembre / octobre 1995, et que certaines choses ont sans doute beaucoup changé depuis, enfin je l’espère pour eux... et pour la planète. Je sais que Bakou est devenue une ville riche et moderne par exemple. Si vous avez des commentaires, questions, infos, ... n’hésitez pas !
La bise à tous mes éventuels lecteurs azéris, et aux autres aussi. Sağol !

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