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Episode 13 : la Russie

Cet épisode un peu particulier va traverser toute la Russie, dont l'immense Sibérie, en train. J'espère que vous n’êtes pas sidérodromophobiques (peur de prendre le train). En voiture s'il vous plaît, l'article va partir.
Petit résumé de l'épisode précédent : je pars de Pékin pour Moscou avec un visa transit de 10 jours.
Le voyage en train dure 7 jours mais le premier jour est consacré à traverser la Mandchourie (le nord de la Chine). Il me restera donc 4 jours pour visiter Moscou, y faire quelques formalités, et repartir.
Le départ est le samedi 27 janvier 1996. 9000 km à parcourir en train, avec une petite particularité : en raison des changements de fuseau horaire et du sens du voyage, je vais passer une semaine dont les journées ne durent que 23h - en clair chaque jour je perds une heure, et dois sans cesse me mettre à jour par rapport à l'heure locale.

Fin janvier 1996, cela fait un peu plus de 5 ans que l'URSS a fait sa dissolution (sorte de révolution à l'envers), et pourtant, voici (ci-dessus) ce que je vois soudain par la fenêtre du train à Manzhouli, la ville frontière entre la Chine et la Russie.
Si parlez le russe, vous connaissez sans doute la signification de ces 4 lettres : СССР = Союз Советских Социалистических Республик (ça se lit SSSR, et pas cécécépé - c'est écrit en alphabet cyrillique, pas latin...). Voici la traduction en français : Union des républiques socialistes soviétiques - la fameuse URSS (USSR en anglais). Bref, 5 ans plus tard, le fantôme de l'URSS traînait encore au fin fond de la Sibérie.

Sans surprise, au poste frontière, au bout du quai, je trouve cette sculpture en béton armé : le symbole de l'URSS. Pour la petite histoire : pour prendre cette photo, je suis sorti de la gare, je suis allé sur le long quai, j'ai retiré mes gants, j'ai fait la mise au point, appuyé sur le déclencheur... et je suis rentré en courant dans la gare, je ne pouvais plus bouger mes doigts. Ils étaient gelés. Un peu plus tard, après les avoir réchauffés sur un radiateur, je demande à un habitant local, vendeur dans une petite échoppe, si le temps était froid aujourd'hui. Sa réponse était : "Non, il fait beau aujourd'hui. Il ne fait que -25 °C, et il n'y a presque pas de vent". Je vous laisse imaginer ce que c'est, au cœur de l'hiver, pendant les tempêtes de neige. Pour les frileux, le record de froid en Sibérie est de −71,2 °C.

A la frontière russe, on ne fait pas que changer de pays, de langue, de monnaie, on change aussi les essieux. La plupart des pays dans le monde (dont le Royaume-Uni, les États-Unis, la France, l'Allemagne, la Chine, ...) utilisent la "voie normale", dont l'écartement des rails est de 1 435 millimètres et est considéré comme une référence par l'Union internationale des chemins de fer. Mais en Russie, l'écartement est de 1 520 millimètres... Les trains européens ou chinois ne peuvent circuler sur les voies ferrées russes, à moins de changer les essieux : on lève le train, on change les essieux, on repose le wagon... mais pour faire tout un train, cela prend des heures.
Ce petit détail technique a préservé l'URSS de l'invasion allemande pendant la seconde guerre mondiale : faute de matériel roulant construit pour l’écartement russe, la Wehrmacht s’est enlisée dans la boue et la neige. L'opération Barbarossa est la plus grande invasion de l’histoire militaire en termes d’effectifs engagés et de pertes. Lors de la première année de la campagne contre l'URSS, le Reich perd 1,3 million d’hommes... Sans vouloir lancer une uchronie, il est tentant de se demander ce qui se serait passé s'ils avaient pu aller directement à Moscou en train.

Ça ne surprendra personne, mais en hiver, il fait très froid en Sibérie. Et pourtant je suis tenté de dire que c'est la meilleur saison pour faire ce voyage. D'une part, symboliquement, tout le monde associe ces deux éléments, visiter la région en été, c'est passer à côté de ce qu'elle représente dans l'imaginaire collectif. D'autre part, les voies sont souvent bordées de rangées d'arbres. En hiver, les feuilles sont tombées, on peut donc apprécier la majesté des paysages de taïga et de toundra. Et enfin, même s'il fait froid dehors, il fait chaud dedans, c'est douillet : dans chaque wagon une personne est chargée de surveiller le chauffage et de fournir de l'eau chaude pour le thé ou les nouilles chinoises...
Et en hiver, on peut admirer la fumée de mer, aussi appelée brouillard d’évaporation, qui se forme au-dessus d'une surface d'eau libre en contact avec de l'air glacial. Ici la température de la rivière doit être très près de zéro degré Celsius (on ne voit pas de glace à la surface), et l'air est sans doute autour de -30 °C.

Tout au long de cette semaine de déplacement en couchette, il y a de nombreux arrêts. Chaque gare voit quelques passagers monter ou descendre. La majorité de la population de la Sibérie se concentre le long du Transsibérien où se trouvent quelques bassins industriels importants. Malheureusement je ne peux faire un arrêt prolongé à Irkoutsk et faire un petit séjour sur les rives du lac Baïkal. Heureusement peut-être, comme ça je n'ai jamais eu l'idée d’écrire le prétentieux Dans les forêts de Sibérie (de Sylvain Tesson), que je n'ai pas aimé. Par contre, sur la région, je vous conseille Bêtes, Hommes et Dieux de Ferdynand Ossendowski. Si vous voulez on en débat dans les commentaires ;-). 

L’arrêt dans une gare est l'occasion de diversifier les menus. Il y a bien entendu un wagon restaurant à bord du train, mais il est simple et parfois un peu sans intérêt. Il est important de se ravitailler de temps en temps. Sur les quais on trouve des petits kiosques vendant un peu de tout. Il y a aussi des babouchkas (grand-mères) qui vendent en direct quelques produits maison : pain, pâtés, cornichons, gâteaux... On trouve aussi d'autres produits artisanaux, comme cette bouteille de vodka à Irkoutsk, élaborée avec l'eau du lac Baïkal.
Sortir du train est une opération spéciale : dans le train il fait autour de 25 °C, dehors -25 °C. Vous devez donc vous habiller chaudement sur la plateforme, entre le couloir et la porte, et encaisser un choc thermique de 50 degrés en quelques secondes... et refaire l'opération dans l'autre sens en rentrant dans le wagon avec vos achats.

J'ai fait ce voyage en compagnie de Jan, un Allemand rencontré à Pékin, mais aussi, à partir de la frontière russe, avec un groupe de jeunes soldats russes en permission. En voici un qui arrive à Kirov, et qui retrouve sa fiancée. Il y avait un autre étranger dans ce train, un Américain, cible de tous les regards, tant chinois que russes. Il faut avouer que son attitude condescendante, croyant pouvoir acheter tout et tout le monde, ne lui a apporté aucun ami.
Puisque l'on parle argent, il y 25 ans ce voyage d'une semaine m'a coûté environ 150 euros pour une couchette en 2de classe (6 couchettes par cabine). Aujourd'hui les prix vont de 600 à 3000 euros, selon le type de voyage que vous souhaitez faire (simple ou luxe).

Moscou : voici Kalinin prospekt, renommée aujourd'hui la nouvelle rue Arbat. C'est l'une des plus grandes artères de la ville. Plus que les petites voitures russes, certes intéressantes, notez la "limousine" tout à gauche. Certains Russes ont fait de très gros bénéfices lors de la chute de l'URSS. Des fortunes sont rapidement apparues. Les "nouvo-richy" (en russe dans le texte), ou oligarques (dans la presse française) ne sont pas tous des mafieux, ne me faites pas dire ça. Certains se sont juste trouvés au bon endroit au bon moment, pour racheter une bouchée de pain des marchandises qu'ils ont ensuite revendues 10 fois plus cher ailleurs. Ils se sont parfaitement adaptés pour passer du communisme au capitalisme en un rien de temps.

Tous les Russes, loin de là, ne se sont pas enrichis soudainement. La libéralisation rapide des prix, du commerce, des flux de capitaux et les privatisations rapides et massives fut un choc pour la majorité de la population. Le chômage, qui s'élevait à moins de 0,1 % de la population active au début des années 1990, a grimpé à 7,5 % en 1994. La mortalité a connu une augmentation de plus de 18 % attribuable aux privatisations massives (et au chômage conséquent, menant entre autres à un accès difficile aux soins, à l'augmentation de l'alcoolisme, ...). D'après l'Unicef, la proportion d'enfants russes vivant dans la pauvreté dépassait les 75 % en 1997. Quand aux personnes âgées, sans travail et avec une retraite de misère, ... je vous laisse commenter la photo... 

Voici, au bout de la rue, le bâtiment principal de l'université d'État de Moscou, un bel exemple du style impérial stalinien. Ces gratte-ciel sont un ensemble d'édifices construits au lendemain de la Seconde Guerre mondiale à l'initiative de Staline. Conformément au mot d'ordre de l'époque "le communisme doit rattraper et dépasser le capitalisme !", ces bâtiments sont conçus pour fournir une image grandiose et glorieuse de la supériorité du communisme.

Un valeureux camarade travailleur traverse la très symbolique place Rouge de Moscou. Sur la gauche, on trouve le fameux magasin Goum ("Magasin principal universel", autrefois magasin réservé aux cadres du Parti et aux touristes, aujourd'hui un grand centre commercial huppé). Vient ensuite la cathédrale Saint-Basile-le-Bienheureux et ses bulbes colorés. Dans la moitié de droite, ce palais est le Kremlin (lieu de résidence du Tsar, puis des dirigeants de l'Union soviétique, et aujourd'hui du président Vladimir Poutine). Au milieu de la place, juste devant la muraille du Kremlin, se trouve le mausolée de Lénine, embaumé après sa mort.

Non, nous ne sommes pas dans le mausolée de Lénine, mais dans une station du métro de Moscou. Les stations, souvent enterrées à grande profondeur, ont un décor soigné qui en fait un des bijoux architecturaux de la ville. De nombreuses lignes ont été construites après la Seconde Guerre mondiale. Les stations profondes devaient servir d'abris contre les bombardements en cas de guerre nucléaire. La descente vers les quais sur de très, très longs escalators vous laisse tout le temps nécessaire pour réviser l'histoire de la guerre froide.

Mes quelques jours à Moscou sont surtout consacrés à organiser la suite du voyage : trouver une chambre chez l'habitant, obtenir un visa pour l'Estonie (oui, en 1996 il fallait un visa pour visiter ce petit pays Balte, il faudra attendre 2004 pour qu'il rejoigne l'Union européenne), trouver un billet de train, et partir avant la fin de mon visa transit... C'est pourquoi je ne vous parle pas plus de Moscou. La suite au prochain épisode.

N'oubliez pas que tout ce qui est écrit dans cette page est mon témoignage sur mon voyage fait en janvier 1996, et que tout a beaucoup changé depuis...
Si vous avez des commentaires, questions, infos, ... n’hésitez pas !
La bise à tous mes éventuels lecteurs russes, et aux autres aussi. Da svidania !

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